« La guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force. » Georges Orwell – 1984
Lorsque Patrick Duquesne (fondateur en 2010 du Collectif Libertalia) et Hadi el Gammal (aujourd’hui au Théâtre Maât) fondèrent une association théâtrale en 1979, il leur fallut choisir une appellation. Après bien des discussions avec les membres du collectif d’acteurs en train de se constituer, ils décidèrent de prendre le nom de « 1984 ». Pourquoi? Parce qu’il leur semblait que le célèbre roman de Georges Orwell contenait une description de tout ce qu’ils regardaient d’un oeil critique: la normalisation tous azimuts, la surveillance généralisée, l’amour du censeur, le discours de la servitude volontaire, les experts du double langage, la falsification de l’histoire, la connivence des impérialismes antagonistes, les fonctionnaires de la vérité, les guerres qui s’éternisent, le recours aux boucs émissaires…
Ces thématiques traverseront, de 1979 à 2009, pendant 30 ans, toujours avec humour, la plus grande partie des spectacles de la compagnie, sous la coordination de Patrick Duquesne. En 2010, pour des raisons « administratives », ce dernier s’associera à Carine Dubois et Corinne Aron, issues elles aussi du Collectif 1984, et tous trois décideront de poursuivre cette expérience sous un autre nom, celui du Collectif Libertalia.
Nous invitons tous ceux qui ont apprécié et trouvé du sens à nos activités à nous suivre aujourd’hui dans nos nouvelles aventures, ceux qui -les plus anciens!- ont applaudi aux farces politiques de Ruptures en 1982 et Tout en 1984, ceux qui ont partagé notre regard sur l’absurdité de la concurrence dans le très non-verbal Les Communs des Mortels en 1987 (mis en scène par Franco Dragone, avec Patrick Duquesne et Hadi El Gammal), ceux qui ont suivi les malheurs économiques de Santuccio et Fulbert dans Poussières du Temps en 1996 (en collaboration avec Jean Lambert et Franco Dragone), ceux qui n’ont plus jamais glissé de pièces dans un parcomètre après avoir vu Les Naufragés en 1999 (scénographie de Michaël De Clercq), ceux que Nous sommes momentanément absents (mise en scène de Patrick Duquesne et Giovanni Orlandi) a fait réfléchir sur la notion de complicité, ceux qui ont souri au regard porté sur la lutte de classes des années ’70 avec Dimitri Frosali (Amaltea) et Giovanni Orlandi (Cie du Campus) dans Le choc (2002), ceux qui ont appris que ‘travail’ signifie ‘torture’ et vient du latin Tripalium (2006), ceux qui ont été touchés par ce père absent et inconsistant qui tente, trop tard, de rattraper le temps perdu dans Au nom du fils (2007), ceux qui ont suivi les mésaventures de 4 passagers arrêtés pour leur manque d’italianité dans Aux frontières des nations (2008).
Nous invitons donc tous ceux qui nous ont suivis et soutenus pendant toutes ces années à monter dans notre nouvelle embarcation -Libertalia!- afin de poursuivre la passionnante aventure inaugurée en 1979.
« C’est par leur simple existence, c’est en essayant de vivre vraiment, que Julia et Winston ont politiquement résisté. Cela ajoute considérablement au message positif de 1984: Orwell nous dit clairement que la conscience politique n’a pas de sens si elle s’enferme dans ce que le mot « politique » désigne habituellement, néglige le plan de l’existence, et ne prend garde à ce qu’elle est elle-même existentiellement. Chacun doit se méfier au plus profond de soi, de ce coeur totalitaire que masquent parfois les discours libertaires. (…) On ne fait vivre que si l’on est vivant. » François Brune – Significations politiques du mode romanesque
« L’un des aspects les plus fascinants de 1984 se situe en effet hors du livre: c’est l’histoire de sa réception. Compris en 1949 comme visant surtout le stalinisme -ennemi numéro un d’Orwell après la défaite de l’Allemagne- il va produire au fil du temps, les effets de reconnaissance les plus divers, à l’Est comme à l’Ouest. Même un simple résumé de cette histoire prendrait des pages. Quelques exemples seulement: « Il s’agit aussi et de plus en plus de nous-mêmes », disent les radicaux américains au moment de la guerre du Vietnam; un journaliste anglais voit dans la Suède la réalisation, sous forme feutrée, du cauchemar orwellien; les étudiants contestataires croient voir Big Brother derrière l’institution universitaire; parmi les étudiants non politisés d’aujourd’hui, 1984 évoque les dangers de l’informatique, les caméras de télévision dans les grands magasins et les écoles privées… » Roger Raby – George Orwell et les fonctionnaires de la vérité, revue L’arc n°94
« La double pensée signifie la capacité de croire simultanément à deux choses contradictoires, et de les accepter toutes les deux. L’intellectuel du Parti sait dans quel sens ses souvenirs doivent être modifiés; il sait donc qu’il joue avec la réalité; mais par l’exercice de la double pensée, il est aussi convaincu que la réalité n’est pas altérée. » George Orwell – 1984